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Micheline LO
 
 
Interview via FAX (1992)  
 
Chère Nicoletta,
Je vous remercie vivement pour votre texte orienté vers la spiritualité ? Voici donc mes réponses.
 
 
Question 1 : Choix figuratifs / abstraits  
 
Nicoletta ORLANDI POSTI

En parcourant chronologiquement votre production artistique, on s’aperçoit d’un abandon progressif de l’art figuratif en faveur d’une expression picturale plus abstraite comme acte nécessaire à la synthèse conceptuelle. Ne s’agirait-il pas aussi d’une abstraction spirituelle ?

Micheline LO

Peut-être. Il est difficile de dire à quoi correspond un changement. Je crois parfois que je reviendrai à l’art figuratif.

L’art abstrait ne me paraît pas supérieur.

Il y a toujours dans mon travail, même dans les « Chemins des écritures », un appel indirect à la figure pour sa force de surgissement et pour sa présence mystérieuse. Les signes de l’écriture me semblent eux-mêmes figuratifs, dans la mesure où ils désignent et évoque autre chose que leur propre arabesque. Ce sont des messagers, même si leur message reste indéchiffrable.
 
 
Question 2 : Musicalité des peintures  
 
Nicoletta ORLANDI POSTI

Dans la série « Chemins des écritures » j’ai été fascinée par le « son » que chaque couleur, à côté d’une autre émet. Une symphonie de notes pas seulement chromatiques, mais aussi et surtout musicales. S’agit-il de la même recherche de symbiose entre optique et sonorité qui a aussi profondément marqué l’art de KANDINSKY ?

Micheline LO

Cette question me touche beaucoup. En peignant, je ne pense jamais à d’éventuelles correspondances entre sons et couleurs, à la manière de KANDISKY. Cependant, si mes toiles ont un effet musical, je ressens cela comme un accomplissement heureux.

J’aime en effet qu’une toile échappe à ses contours, qu’elle envahisse l’espace et le spectateur.
 
 
Question 3 : Peintres préférés  
 
Nicoletta ORLANDI POSTI

Toujours à propos de Maîtres. En parlant de vos peintres préférés, vous avez mentionné Piero della FRANCESCA, Mark ROTHKO et VELASQUEZ. Pouvez-vous expliquer comment ces protagonistes de l’histoire de l’art, apparemment si loin l’un de l’autre et de vous, inspire votre œuvre ?

Micheline LO

Ce qui me frappe le plus chez Piero della FRANCESCA, c’est un état paradoxal de la solidité. La construction est précise, découpée, et cependant les plans déboîtent et créent une sorte de vertige. Prenons la « Flagellation » d’Urbino. Un homme debout à l’avant porte un chapeau noir, de la même couleur que le fond de la scène. Cela chasse le chapeau vers l’arrière, tout en le maintenant sur la tête de son porteur. Il y a là une déstabilisation d’autant plus déroutante que la scène est très construite. Ce qui pour moi l’apparente à l’Op Art et au surréalisme.

Chez ROTHKO de même, la peinture est voisine de la géométrie : on y trouve rien de plus que trois grands rectangles de couleur reposant à l’horizontale, l’un au-dessus de l’autre. Et cependant ils provoquent une incertitude . La couleur unique de chacun a une animation interne qui élargit et approfondit les rectangles jusqu’à ce qu’ils paraissent immenses et vaporeux, infinis.

Chez VELASQUEZ, il y a aussi une immobilité trompeuse. Les personnages posent, mais les coups de pinceau duveteux voyagent à grande allure.

Ce que ces peintres ont en commun ? Peut-être quelque chose d’aérien. L’air plutôt que la terre. Cela rejoindrait ce que vous ressentiez comme musical ? On a devant soi un spectacle apparemment figé, et soudain le sol se dérobe sous vos pieds.
 
 
Question 4 : Utilisation des couleurs  
 
Nicoletta ORLANDI POSTI

Selon Johaness ITTEN, on peut retrouver dans une composition abstraite des éléments capables de traduire des signes en signifiés. Quelle est donc la valeur de vos rouges, verts, jaunes ?

Micheline LO

Je suis comme tout le monde, le rouge et le jaune me tonifient, le bleu me dilate.

Mais puisque les couleurs chaudes avancent et que les couleurs froides reculent, je les emploient contrastées pour qu’elles opèrent l’envol dont on parlait tout à l’heure à la manière plus ou moins Optical. Les couleurs ne signifient pas une à une, elles établissent des tensions, des tractions, ce qui me permet de croire que mes noirs sont des énergies. Quant au vert, il ne m’évoque pas la fraîcheur, la paix, l’espoir. Il est souvent dans mon travail une couleur tardive. Il intervient au moment des problèmes comme une couleur de questionnement et de relance.



Source: Texte publié dans le catalogue de l'exposition LES CHEMINS DES ECRITURES - MICHELINE LO, Studio Opera d'Arte, Rome, 1998