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La Vache bleue, 1988-1989
 
 
 
 
A propos de cette série  
 
15 peintures sur papiers et 18 toiles, s'inspirant de paysages géographiques ou cosmiques émergeant de la peau d'une vache.
 
 
 
Ce qu'en dit Micheline LO  
 
Texte extrait du catalogue La Vache Bleue

Le projet a été inspiré par la vignette du camembert de la marque La Vache Bleue. Cette image tout alimentaire m'a soudain frappée par son aspect géographique et cosmique. En effet, la grande tache que l'animal porte sur le dos évoque un continent. La forme circulaire, l'or, le bleu jour, le bleu nuit, tout cet ensemble favorisait une simplification terrestre et céleste de la grande mère vache, jusqu'à en faire une métamorphose de la planète. Le bleu et l'or, de plus, charriaient des réminiscences de mozaïques byzantines. Particulièrmenet m'est revenu le souvenir de la voûte constellée du tombeau de Galla Placidia, à Ravenne (5è siècle).

C'est avec ce projet ambitieux que me trouvant dans la Drôme à Noël 1987-88, j'ai aligné une dizaine de croquis des montagnes environnantes, groupées autour du dos majestueux du mont Ventoux. Cela, je l'intulai vaguement Prologue à la Vache Bleue. Le projet lui-même a démarré lentement, fin janvier, avec des vaches tantôt filant dans l'espace, soeurs de lait de la Voie Lactée, tantôt plaquées au sol, en planisphères. Une vingtaine de ces papiers, en général de 50x65 cm, ont été accessibles au public, en mai-juin 1988, lors de l'ouverture des ateliers d'artistes de Saint-Gilles, pendant trois week-ends successifs.

Les toiles d'un mètre carré qui leur ont fait suite, peintes l'été 88, se sont ressenties du désir de retrouver au plus près l'animal, plus lourd, plus épais, enfoncé dans son immense corps ruminant et immobile, quasi minéral, et cependant plein de lait et de paille, et la vaste sérénité du regard, dont j'ai cherché à préserver toujours l'animalité. Me défiant de la
Vache Qui Rit, dont le regard est humain.

En septembre, j'ai fait quelques monotypes, très près de l'image du camembert. Ils ont été conçus comme des médailles. Leur lumière cherche à rendre l'effet d'une réapparition progressive de la gravure, comme d'une médaille oxydée qu'un décapant ranimerait jusqu'à rendre l'image déchiffrable.

Les quelques grandes toiles qui ont suivi correspondent à la maturité du projet, jouant d'un aspect ou de l'autre. Ainsi la variation 36, huile sur toile de 2x2m, qu'on pourrait appeler Vache Polaire, superpose, en une sorte de filigrane à prise de vue plongeante, le ciel étoilé, autour de l'étoile polaire, et l'Europe, virant au froid des icebergs. Les deux dernières toiles sont marquées par l'état d'esprit du projet ultérieur. Traversées de ciel en très grandes nappes, elles préparent la 4è série des Paradis de Dante, entamée depuis.

Autres extraits

[...] Quant à la Vache Bleue, quel paradoxe qu'une carte géographique germant d'un corps vivant ! C'est une série un peu à part, gérée par la tendresse pour la planète terre devenue fragile, avec le paradoxe, toujours, d'une fragilité colossale. [...]

[...] Une quarantaine de papiers et de toiles sont sortis de l'étiquette de la boîte de camembert du même nom. La peau de la vache avec ses taches géographiques, et la générosité de la laitière ont mobilisé une tendresse pour la planète terre, notre nourrice bleue.[...]
 
 
 
Ce qu'en dit Henri VAN LIER  
 
Y avait-il alors quelque part une figure qui résumerait presque d'un coup les paysages cérébraux que les neurones humains projettent sur les paysages réels ? Un portrait de plus, mais de la Planète entière ?.

Or, un camembert se vendait à l'époque sous le nom de « Vache bleue ». Son étiquette portait une vache effectivement bleue, qui circulait sur la table du petit déjeuner. Le peintre qui affirmait ne rien imaginer, et lire seulement les indices affleurant des textures de la toile, commença d'y reconnaître des maternités universelles, des cartes des pays et des continents, un atlas du ciel étoilé, la parabole des vaches grasses et des vaches maigres.

Une soixantaine de titres de dessins et de peintures de toutes grandeurs désignèrent : la Vache espace, la Vache grande île, la Vache ciel, la Vache Méditerranée, la Vache nuit, la Vache arc-en-ciel, la Vache Alpes, la Vache Terre, la Vache truie, la Vache bois brûlé, même la Vache Galla Placidia, de ce tombeau, près de Ravenne, dont le lapis-lazuli de la mosaïque fait la chambre mortuaire la plus céleste au monde. Du politicien engagé au professeur de botanique, les visiteurs s'étonnèrent de respirer à nouveau à pleins poumons parmi les apnées de l'art du moment, qui avait traversé le courant Support Surface. Ce n'est pas qu'en Inde que la Vache est la déesse d'une religion qui n'a pas d'incroyants.

Pour l'exposition, un texte de Luc Dellisse revint sur les vertus de la toile comme tissage et accidents de tissage : « La toile attend, la toile se tend, dans un silence à crier. Et puis, lentement, un peu de vie afflue. Les montagnes virent, bleuissent. Cristaux après cristaux, elles se mettent à affleurer. Un ciel de givre, tout en buée, en plaisir transparent, vient occuper sa place arbitraire ; et de nulle part, où tourne la roue, réapparaissent les taches… a poudre… les cirons… C'est la transhumance. – La transcendance, hein ? C'est ça le mot ? – La transhumance ! Taisez-vous ! ».