Vents, 1995-1996 |
A propos de cette série
25 (ou 26) toiles, inspirées de Vents de Saint-John Perse. Chaque toile recopie au complet, de bas en haut, un poème, court ou long.
Ce qu'en dit Micheline LO (1)
Les poèmes de Saint-John Perse opèrent un vaste balayage. De grands vents purificateurs éventrant les bibliothèques dispersent la stagnation livresque, ouvrent les poumons sur l'air pur : « Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante ?»
La peinture allait-elle entreprendre des toiles quasi vides, associées au grand renouvellement ? Après incubation, le projet prit une autre allure. Chacune des toiles recopie au complet un des vingt-six poèmes, courts et longs. Cela donna des superpositions, où les jambages de surface enfouissent les mots sous-jacents, remplacent le vieux par du neuf, détruisent et rafraîchissent. Dans des climats colorés tous différents, avec des émergences verbales dans le tissu graphique. Ce qu'en dit Micheline LO (2)
Les deux temps d'élaboration
Chacun des vingt-six poèmes a été recopié en entier. Il l'a été de bas en haut, en recommençant du bas quand le haut de la toile était atteint. Sans doute par imitation du mouvement du vent. Le but au départ était de m'immerger dans Saint-John Perse sans prendre les rênes picturalement. C'est pourquoi j'ai tout recopié en caractères relativement grands, ce qui ralentissait le travail et me permettait de m'imprégner du texte sans effort. Comme je voulais m'effacer derrière l'auteur, je me suis astreinte à un code des couleurs. Une couleur différente a été adoptée pour chaque strophe. Et dans chaque strophe une nuance différente de cette couleur caractérise chaque verset. Les couleurs alternent d'une strophe à l'autre. Si, par exemple, la première est recopiée en rouge et que la deuxième l'est en bleu, la troisième l'est en rouge, la quatrième en bleu, et ainsi de suite. Mais certains poèmes sont beaucoup plus longs, et sont composés de plusieurs groupes de strophes, que Saint-John Perse sépare par des astérisques. Dans ce cas la copie opère une nouvelle alternance d'ordre supérieur, comme par exemple : - rouge/bleu/rouge/bleu ... pour le premier groupe, - vert/jaune/vert/jaune ... pour le second, - rouge/bleu/rouge/bleu ... pour le troisième, etc. Cette osmose a pris une autre forme à travers les recouvrements, une couche masquant plus ou moins l'autre, la détruisant, ce qui correspondait au rapport de l'écrivain à ses brouillons. Parfois, chez Saint-John Perse, à dix pages de texte définitif correspondent cent pages de brouillon. Il y avait donc là une démarche d'accumulation et de soustraction très participative. Quand le poème était recopié en entier, j'intervenais comme peintre en dégageant plus ou moins une phrase, en la soulevant depuis la multitude du fond. Un de mes objectifs a été de donner au fond un dynamisme qui le fasse entrer en compétition avec la phrase dégagée. Ce qu'en dit Henri VAN LIER
Déjà Flexte, comme aussi le récit à la fois copié et figuré de la Mort d'Harcamone, avaient montré une volonté de croiser écriture et image. Mais pas au point que le trait pictural soit en même temps le trait scripteur. Et inversement. Un ultime pas restait à franchir.
Assurément, il fallait rencontrer un écrivain qui s'y prête. Ce fut Saint-John Perse. Né aux Antilles, ces îles d'Amérinde, ambassadeur de France et poète, son thème central avait été justement la génération et régénération des bêtes, des hommes, des idées, des images, des institutions politiques et commerciales, des cerveaux fervents. « Se hâter, se hâter, paroles de vivants ». Micheline Lo répétait volontiers la dernière strophe de Vents, qui disait bien sa violence à elle. « Quand la violence / eut renouvelé / le lit des hommes sur la terre // Un très vieil arbre / à sec de feuilles / reprit le fil / de ses maximes // Et un autre arbre / de haut rang / montait déjà / des grandes Indes souterraines // Avec sa feuil/le magnéti/que et son chargement / de fruits nouveaux. ». On aura remarqué que, comme son contemporain Claudel, Saint-John Perse s'exprime en versets, lesquels sont composés de membres de quatre ou six pieds, formant alors parfois des décamètres (4/6, 64) et des alexandrins (6/6). Selon l'idéal, nous dit-il, de la strophe à la fois stricte et large de Pindare. Comme la discipline est la condition de la liberté, le peintre s'imposa un protocole strict. Elle s'obligea à recopier chaque strophe de bas en haut, en reprenant du bas quand elle avait atteint le haut. Les couleurs furent soumises à un code arbitraire : telle teinte pour telle alternance de strophes. Cependant, le pinceau chargé d'acrylique entraînait des insistances, des ruminations de syllabes, de caractères, de traits. Ainsi, les accrocs, les failles, les dérapages reséquencièrent les séquences. Encore une façon de prendre la toile comme champ d'indices, d'en faire le lieu privilégié des connexions et des clivages neuronaux. L'atelier était vraiment prêt pour les Chemins des écritures. Pour le passage des formations neuronales aux formations vivantes en général. |